Odile Jacob publie

[ Idées pour aujourd'hui et pour demain ]

Patrick Artus

L'Épargne accumulée pendant le confinement soutiendra-t-elle, ou non, la consommation ?


Publié le 4 mai 2020


Pendant la période de confinement, les ménages ne peuvent pas consommer normalement : les magasins sont fermés, beaucoup de productions de biens et services sont arrêtées. Le taux d'épargne des ménages français pendant le confinement est probablement de l'ordre de 35% au moins. Il s'agit d'une épargne forcée, liée à l'incapacité de consommer.

Le risque de transformation de l'épargne forcée en épargne de précaution
Après la fin du confinement, les ménages vont être confrontés à une très forte incertitude, sanitaire (le virus peut-il revenir ?), économique (risquent-ils de perdre leur emploi ?), fiscale (l'Etat devra-t-il augmenter les impôts ?). L'incertitude conduit normalement à l'épargne de précaution. On peut craindre que l'épargne forcée accumulée pendant la crise ne soit pas consommée, et même que le taux d'épargne des ménages reste très élevé après la crise, c'est-à-dire que leur consommation reste anormalement faible, ce qu'on observe aujourd'hui en Chine.

Cette faiblesse de la consommation serait particulièrement forte pour les biens durables (autos, gros biens d'équipement de la maison) dont l'achat est lié au crédit, rejetée en période de forte incertitude.

La politique économique d'après crise devra donc avoir une composante très importante qui est de lutter contre l'épargne de précaution.

Deux politiques pour lutter contre l'épargne de précaution.
La première préconisation est la suivante : que les gouvernements s'engagent à ne pas essayer de réduire rapidement les déficits publics et les dettes publiques, à ne pas passer à des politiques budgétaires restrictives, à ne pas augmenter les impôts. L'anticipation d'une politique budgétaire restrictive et de hausse d'impôts est une des causes possibles, en effet, de l'épargne de précaution.

La seconde préconisation est de soutenir les créations d'emplois des entreprises, par exemple pour des exonérations durables de charges sociales sur les nouveaux emplois créés. Ceci permettrait d'accélérer la baisse du chômage après la crise, et de redresser la confiance des ménages ; l'anticipation du marché du travail durablement dégradé est aussi une des explications de l'épargne de précaution.

Lutter contre le réchauffement climatique en soutenant la consommation des ménages
Les entreprises s'inquiètent des normes climatiques et environnementales (émissions de CO2 pour l'automobile, etc.) alors que leur situation financière est dégradée, mais les opinions demandent au contraire des normes plus sévères, en associant crise sanitaire et dérèglement climatique. Comment concilier ces deux éléments ? Il nous semble que c'est possible de le faire en soutenant les composantes de la consommation des ménages qui dégagent des externalités climatiques et environnementales.

On peut par exemple envisager des aides publiques accrues aux ménages (subvention, défiscalisation, crédit à taux zéro) pour la rénovation énergétique des logements, pour l'achat de voitures électriques, pour l'achat de matériel informatique (dans la perspective d'une progression durable du télétravail). Ceci soutiendrait la consommation des ménages, ce qui est ici notre objectif, mais aussi pousserait les entreprises à se développer dans les domaines liés à la transition énergétique.

Finalement, on peut résorber l'épargne de précaution en soutenant les entreprises
Il est difficile de forcer les ménages à consommer s'ils ont beaucoup d'incertitudes sur l'avenir. Mais on peut cependant essayer de résorber leur épargne de précaution tout en soutenant les entreprises. On l'a vu, il peut s'agir d'aides à la création d'emploi, qui restaureraient aussi la confiance des ménages en faisant baisser le chômage ; d'aides à la rénovation de l'habitat, à l'achat de voitures électriques et de matériel informatique, dépenses des ménages qui soutiennent l'activité des entreprises et aident à lutter contre le réchauffement climatique.

Patrick Artus est professeur associé à l’École d’économie de Paris et chef économiste de Natixis. 

Dernier ouvrage publié aux éditions Odile Jacob : Discipliner la finance (mai 2019)

Télécharger l'article